Julien Bernigaud, Paul Lauriau et Thibault Chonik sont généalogistes successoraux à Genève. Leur travail consiste à retrouver les héritiers d’une personne décédée.
Ce sont, parfois, des millions de francs qu’ils doivent diviser entre des dizaines de cousins germains. Des recherches qui peuvent durer plusieurs années.
À les entendre, fouiller dans les archives n’a rien d’ennuyeux, au contraire c’est un véritable jeu de piste qui les passionne.
« Notre deuxième métier c’est Père Noël »
Dans le silence feutré des Archives cantonales genevoises, Julien Bernigaud déplie une longue partition de musique devant lui. À l’une des extrémités, il a tracé une croix surmontée des lettres D et C. Soit, en latin, «de cujus»: celui dont on va régler la succession. À la suite de cette première inscription, les différentes portées musicales sont encombrées d’une interminable liste de noms et de dates, reliés entre eux par des traits et entourés d’inscriptions griffonnées. Les yeux rivés sur l’écran de l’ordinateur, le généalogiste fait défiler, une par une, les pages numérisées d’un vieux registre manuscrit. «Ah, j’ai trouvé leur mariage!» finit-il par se réjouir en pointant un nom et une année: 1908. Il s’empresse de rapporter la précieuse information sur le papier. Grâce à elle, Julien Bernigaud pourra se rendre dans un autre bâtiment des Archives genevoises afin de consulter l’acte de mariage du couple. «Je vais aussi pouvoir faire ce qu’on appelle une battue de naissances. Cela consiste à rechercher toutes les naissances entre les 15 et les 50 ans de la femme pour savoir si elle est devenue mère naturelle.»
Autant de petites pièces qui viendront s’ajouter au gigantesque puzzle qu’il tente de reconstituer: l’arbre généalogique d’une personne décédée. «Il faut croiser les différentes sources d’informations pour être sûr de n’oublier personne.» Car Julien Bernigaud est ce qu’on appelle un chasseur d’héritiers. Mandaté par un notaire, il doit retrouver les descendants les plus proches d’un défunt afin de pouvoir leur remettre leur part de la succession. «À mes yeux, il y a un côté vraiment ludique, c’est comme de résoudre une énigme policière. Au départ, on a juste un défunt et son état civil. À partir de là, on doit recomposer toute sa vie. Parfois, à la fin, on en sait davantage sur eux que leur propre famille», détaille celui qui fait ce travail depuis quatorze ans au sein du cabinet Coutot-Roehrig.
«De nouvelles racines»
Son collègue Paul Lauriau, responsable de la filiale helvétique, abonde: «Ce matin, nous avions rendez-vous avec une personne pour lui apprendre qu’elle héritait d’un cousin dont elle ignorait l’existence. Elle avait envie qu’on lui parle de lui, elle nous voit comme des témoins.» Des révélations qui demandent une certaine dose de psychologie selon lui. «Chez quelques-uns, on détruit un peu leurs racines familiales pour leur en donner de nouvelles. Ils se demandent: «Mais pourquoi est-ce que personne ne m’avait jamais rien dit?» C’est passionnant d’accompagner les gens dans ce type de processus.» Et, si la plupart des investigations ne prennent que quelques mois, d’autres peuvent durer plusieurs années. «Certains ont une libido plus forte que d’autres. Le record, je crois, est de 192 personnes dans une seule succession», sourit Paul Lauriau. Pour ne rien arranger, les procédures s’emboîtent régulièrement les unes dans les autres. Car, en cas de décès de l’un des héritiers, les généalogistes doivent dénicher ses propres descendants.
«À mes yeux, il y a un côté ludique, c’est comme résoudre une énigme policière.»
Julien Bernigaud, généalogiste chez Coutot-Roehrig
«Parfois, de grands faits historiques, comme la Seconde Guerre mondiale, brouillent les pistes. Mais, de manière générale, c’est très rare que nos recherches n’aboutissent pas», assure le responsable. Au total, la filiale helvétique de Coutot-Roehrig gère environ 200 successions au sein de la Confédération chaque année. «En Suisse, les héritages sont moins nombreux, mais ils sont plus importants.» Un avantage pour le cabinet, qui, dans la plupart des cantons, se rémunère grâce à un pourcentage du montant touché, les sommes pouvant varier entre 10 000 francs et plusieurs millions. En clair, les bénéficiaires sont appelés à signer un contrat de révélation avant de savoir de qui et de quoi ils vont hériter. «Nous prenons entre 5% et 10% en fonction de la complexité de la recherche. En France, cela peut monter jusqu’à 40%», précise Paul Lauriau. Pas de quoi effrayer les heureux élus, selon lui. «Notre deuxième métier, c’est Père Noël. Les gens préfèrent payer un peu pour avoir quelque chose que de ne rien avoir.»
D’ailleurs, il est persuadé que leur métier a encore de beaux jours devant lui. «Plus le temps passe, plus les membres d’une même famille vivent loin les uns des autres. Je pense que l’on aura de plus en plus besoin de nous», affirme-t-il en s’approchant de son collègue pour voir où en sont ses recherches. Plongé dans un nouveau registre, Julien Bernigaud a encore du pain sur la planche. «Même si, en Suisse, nous avons la chance d’avoir des archives bien tenues, il n’y a jamais un document unique qui contient toutes les informations sur une personne», pointe le généalogiste en griffonnant une nouvelle information sur le papier à musique. «Une fois que j’aurai fini avec eux, je vais devoir faire pareil avec tous les frères et sœurs!
60 000 sont retrouvés, chaque année, par le cabinet Coutot-Roehrig, à travers le monde. Certaines recherches peuvent faire appel à plusieurs de ses 47 bureaux répartis tout autour du globe.
TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: CHRISTIAN BONZON
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